Le Jokari

Posté le 28 décembre 2015 par Carole Marcenac

Comment transposer le tableau de Jacqueline Bouchoux-Lajtner en mosaïque ? Pour répondre à cette question, il faut d'abord rappeler en quoi consiste la technique de la mosaïque, définition qui contient l'explication du travail que j'ai entrepris à partir du tableau de Jacqueline. "L'art de la mosaïque consiste à assembler différents éléments ou morceaux de pierre, de verre, etc. afin d'obtenir un tout unifié doté de sa propre identité." (In Mosaïques d'aujourd'hui, E.M. Goodwin) Depuis la Grèce antique, une mosaïque est constituée de tesselles (cubes de verre ou de pierre taillés à la marteline) collées sur un support à l'aide de ciment-colle et éventuellement maintenues entre elles à l'aide de joint constituant l'interstice, espace entre deux tesselles. Ces tesselles s'encastrent les unes dans les autres comme les éléments d'un puzzle. C'est "l'opus vermiculatum". Le mouvement ou la "disposition" de l'ensemble des tesselles en harmonie avec le sujet à interpréter forme "l'adamento" (du verbe latin ANDARE : aller). Les grecs ont été les premiers à utiliser cette technique afin de réaliser des "emblemata" tableaux de mosaïque à insérer au centre d'un pavement. Plus tard, Dominico Ghirlandaio, peintre du 15ème siècle, dira : "La mosaïque est la véritable peinture pour l'éternité". Aujourd'hui la mosaïque n'est pas seulement une pellicule comme la peinture, mais un matériau qui par sa nature tridimensionnelle, joue avec la lumière et les surfaces sur lesquelles elle est appliquée. Les matériaux utilisés pour sa composition peuvent être découpés, etc...

Mais revenons au tableau de Jacqueline. Il faut dire que je me ne me suis pas contentée d'une longue observation du tableau (sujet à interpréter) : construction, couleur lumière... j'ai aussi relu son très beau livre relatant son enfance insouciante en Tunisie, "Le Jokari", en en relevant toutes les expressions et toutes les images qu'elle utilise, les noms des fleurs, fruits, les personnages, les émotions... Les souvenirs de ces paradis perdus (Tunisie et enfance) imprègnent nombre de ses tableaux en particulier celui que j'avais à interpréter. J'ai utilisé tout ce "matériau" mémoriel et essayé de le transcrire en matériaux concrets. Il fallait recoller les morceaux de son histoire, percer l’énigme de sa mémoire pour en reconstituer le puzzle. C'est ainsi que tous ces souvenirs sont devenus des tesselles, différents éléments à assembler, à encastrer, à jointoyer, à unifier. Évidemment, l'adamento, le sujet du tableau, la forme, l'âme ne pouvait pas être modifiés. Les couleurs non plus. Pour ressusciter ces souvenirs, j'ai beaucoup utilisé le verre (en plaque smalts de Venise, verre Albertini, pâtes de verre, chute de verre, millefiori et même un verre à thé brisé) souvent travaillé en pointillisme afin d'accrocher la lumière et d'essayer de restituer celle qui nimbe les tableaux et le livre de Jacqueline. Les personnages par contre sont traités par la technique dite du "sur-mesure" (vitrail). Différentes graine de fruits mentionnés dans le livre sont devenues palmier, pavement, tête de femme. Plusieurs verres rouges ont été utilisés pour interpréter l'efflorescence qui explose littéralement dans le tableau et le livre, verre parfois aussi coupant et blessant que peuvent être les souvenirs. Et en guise de signature, cette fragile et petite silhouette de fillette insouciante jouant au jokari, en bas à droite de la mosaïque que j'ai rajoutée sans j'espère, trahir l'identité et l'âme du tableau mais qui est là, présente (qui sait ?) pour l'éternité.



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Encore une expérience enrichissante !